Frédéric Malle ne cache pas sa passion pour le 7ème Art, et sait la transposer à son métier d’éditeur de parfums. Nourrissant avec ses auteurs des relations de travail proches et suivies, il parle avec précision de leur manière de composer les parfums. Alors, quand il compare Dominique Ropion, un de ses parfumeurs stars, à Stanley Kubrick, un des plus grands réalisateurs du 20ème siècle, forcément, notre curiosité est attisée..

Frédéric Malle et Dominique Ropion se sont rencontrés aux Laboratoires Roure-Bertrand il y a plus de trente ans. Depuis la création des Editions de Parfums il y a 20 ans, les deux hommes ont développé une très forte complicité. Figurant au palmarès des meilleurs parfumeurs du monde, Dominique Ropion a déjà composé 9 parfums de la collection de l’éditeur dont UNE FLEUR DE CASSIE en 2000, CARNAL FLOWER en 2005 et le sublime et déjà légendaire PORTRAIT OF A LADY en 2010.

L’éclectisme qui résulte de leur collaboration témoigne de la faculté de Dominique Ropion à exceller dans tous les types de parfum, là où la majorité des parfumeurs deviennent assez rapidement spécialistes d’un genre particulier (masculins, orientaux…), qui finit par résumer leur talent. La versatilité de Dominique Ropion constitue le premier point commun que l’éditeur de parfums établit entre le parfumeur et Stanley Kubrick.

Frédéric Malle dresse un premier parallèle entre parfums et films de genre. Celui de la modestie des grands auteurs qui, s’imposent un cadre et en respectent les règles, mais parviennent à transcender le genre qu’ils ont choisi pour en faire avancer leur art.

A la manière du monstre du cinéma américain qui, au fil des décennies, a couvert presque tous les genres en réalisant, notamment, un péplum (Spartacus – 1960), un film de guerre (Full Metal Jacket – 1987), un film d’horreur (Shining – 1980), un rock opéra (Orange Mécanique – 1971), un film d’époque (Barry Lyndon – 1975), et un film de science-fiction (2001, l’Odyssée de l’espace -1968), Dominique Ropion a exercé ses talents dans de nombreuses familles de parfums.

Le maître parfumeur, quant à lui, a composé des parfums correspondant à des archétypes du métier : une cologne (COLOGNE INDELEBILE 2015), un vétiver (VETIVER EXTRAORDINAIRE 2002), un floral oriental (Une Fleur de Cassie 2000), un floral aldéhydé (SUPERSTITIOUS 2017), une tubéreuse (CARNAL FLOWER 2005), une rose orientale (PORTRAIT OF A LADY) et plusieurs « ouds » (THE NIGHT 2014, PROMISE 2017).

Un autre parallèle est établi par Frédéric Malle, cette fois-ci sur les méthodes de création des deux artistes, méthodes qui leur permettent de créer de grands films ou de grands parfums. 

Dans le processus cinématographique, le montage est un élément clé de la construction de l’histoire et de la réussite d’une œuvre. Minutieux et exigeant, Stanley Kubrick prenait à chaque tournage un nombre impressionnant de prises, y compris les plus violentes (tant pis pour les acteurs !), dans le but de sélectionner les meilleures et de les mettre bout à bout au montage. Mais, l’alchimie de l’image et celle du récit ont leurs propres lois qui n’obéissent pas toujours aux critères de la logique, et il arrivait souvent à Kubrick d’inclure au montage une ou plusieurs prises théoriquement moins bonnes, mais qui s’intégraient mieux à l’ensemble.

D’une rigueur implacable, Dominique Ropion déroule une approche très systématique de la composition. Matière par matière, essai après essai, le choix et le dosage de chaque ingrédient s’affinent progressivement. Pourtant, lorsque le parfumeur met bout à bout ce qui semble être les meilleurs essais, là aussi la logique ne prévaut pas toujours. Et à l’image du génie du cinéma, il lui arrive de choisir un dosage a priori moins bon dans l’absolu, mais qui fonctionnera mieux par rapport au reste de la composition.

Frédéric Malle élève alors un parallèle entre le mélange de méthode et d’instinct propre aux cinéastes d’envergure de Stanley Kubrick et à leur manière de monter leur film, et celle que Dominique Ropion applique à la composition d’un parfum.

Pour l’éditeur de parfums, c’est à cet instant que l’esthétique prend le pas sur la logique et que la parfumerie se distingue comme un art à part entière.

 Frédéric Malle ne manque pas de souligner que c’est ce processus créatif combinant rigueur et instinct, la somme d’une multitude de décisions éclairées mais subjectives, l’audace de l’artiste, qui fait les grandes œuvres. C’est ce qui fait qu’un thème peut être réinventé sans cesse. Au cinéma, comme en parfumerie, il existe dans chaque genre un nombre illimité d’histoires. Mais seule une infime proportion d’entre elles parvient à se hisser au rang de chef-d’œuvre et pour certaines de « grands classiques ».